jeudi 2 mai 2013

« N’ayez pas peur de la bonté, de la tendresse ! » - Lettre à Adveniat



Fraternité missionnaire du diocèse de Pontoise

Lettre à la fraternité missionnaire Adveniat

« N’ayez pas peur
de la bonté, de la tendresse ! »


Marines, ce 1er mai 2013
Saint Joseph, travailleur


Chers frères et sœurs d’Adveniat,

D
ans ma dernière lettre, je vous parlais de la louange, au cœur de notre vie chrétienne, et j’avais insisté sur l’importance et la richesse du lien que nous entretenons avec notre beau diocèse. La nomination de Monseigneur Stanislas Lalanne comme évêque de Pontoise et son installation le 6 avril dernier, ainsi que la renonciation de Benoît XVI à sa charge et l’élection de son successeur le Pape François en mars, ont marqué la vie de notre Eglise en Val d’Oise, et renouvelé notre joie d’être chrétiens.

         Les premiers pas de François comme évêque de Rome ont touché le monde entier par sa simplicité, son humilité, et la radicalité de son engagement à la suite du Christ. C’est pourquoi nous avons choisi, avec l’Equipe d’animation pastorale de Franconville qui nous accueillera du 23 au 30 juin pour notre semaine missionnaire, d’emprunter notre thème de mission à l’homélie que le Saint-Père a prononcée lors de l’inauguration de son pontificat, le 19 mars dernier, qui rappelait aussi les premiers mots du bienheureux Jean-Paul II : « N’ayez pas peur de la bonté, de la tendresse ! »

1.    « Nous ne devons pas avoir peur de la bonté, et même de la tendresse ! »

Dans l’homélie du 19 mars, prononcée lors de la solennité de saint Joseph, le Pape méditait sur la façon dont le charpentier de Nazareth avait été un gardien de Marie, de Jésus et de l’Eglise, et il nous le donnait pour modèle :

Je voudrais demander, s’il vous plaît, à tous ceux qui occupent des rôles de responsabilité dans le domaine économique, politique ou social, à tous les hommes et à toutes les femmes de bonne volonté : soyons ‘‘gardiens’’ de la création, du dessein de Dieu inscrit dans la nature, gardiens de l’autre, de l’environnement ; ne permettons pas que des signes de destruction et de mort accompagnent la marche de notre monde ! Mais pour ‘‘garder’’ nous devons aussi avoir soin de nous-mêmes ! Rappelons-nous que la haine, l’envie, l’orgueil souillent la vie ! Garder veut dire alors veiller sur nos sentiments, sur notre cœur, parce que c’est de là que sortent les intentions bonnes et mauvaises : celles qui construisent et celles qui détruisent ! Nous ne devons pas avoir peur de la bonté, et même de la tendresse ![1]

         Nous comprenons bien que François nous appelle à être attentifs au monde qui nous entoure, à l’aimer, à le ‘‘garder’’. Et nous voyons même qu’il considère que c’est une responsabilité commune à tous les hommes et à toutes les femmes de bonne volonté d’être gardiens. Gardiens de l’environnement, de nos frères humains, et aussi de nous-mêmes. Le Saint-Père rejoignait ainsi la grande déclaration que le Concile Vatican II avait faite au début de la constitution pastorale Gaudium et Spes sur l’Eglise dans le monde de ce temps : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur[2]. » Et le Concile ajoutait : « Le monde qu’il a ainsi en vue est celui des hommes, la famille humaine tout entière avec l’univers au sein duquel elle vit[3]. »

         François insistait dans la suite de son homélie sur le fait que nous sommes tous appelés à être des gardiens :

Garder Jésus et Marie, protéger la création tout entière, veiller sur chaque personne, spécialement la plus pauvre, nous garder nous-mêmes : voici un service que l’évêque de Rome est appelé à accomplir, mais auquel nous sommes tous appelés pour faire resplendir l’étoile de l’espérance : gardons avec amour ce que Dieu nous a donné ![4]

Cependant nous nous apercevons vite que garder avec amour ce que Dieu nous a donné n’est pas si facile, en particulier à cause de notre péché et du péché du monde. Et l’un des effets principaux du péché est de nous éloigner de l’amour. Il nous est ainsi plus difficile d’aimer qu’aux premiers moments de la Création, avant le péché originel, parce que nous portons en nous cette mystérieuse tendance à ne pas aimer l’amour[5]. Et nous ressentons souvent cette tendance avec tristesse, car « l’expérience du péché comme refus de suivre (le Christ), comme offense à son amitié, jette une ombre dans notre cœur[6]. »

C’est pourquoi François insiste avec tant de force, au point de répéter deux fois cette même phrase : « Nous ne devons pas avoir peur de la bonté, et même de la tendresse ! »  – « Nous ne devons pas avoir peur de la bonté, de la tendresse ! »

La bonté et la tendresse ne sont pas des valeurs majeures dans le monde contemporain, du moins dans ce que montrent les médias chaque jour.  L’efficacité et le succès semblent les supplanter dans tous les domaines, qu’ils soient professionnels, sociaux ou personnels. Une certaine fausse pudeur nous prend d’ailleurs souvent, lorsque nous voudrions parler de bonté et de tendresse, qui nous fait penser : ‘‘de quoi vais-je avoir l’air, si je parle de tendresse ?’’

Pour être les gardiens de ce que Dieu nous a donné, comme nous le demande le Saint-Père, nous devons faire croître en nous la tendresse et la bonté, et les annoncer au monde qui nous entoure. Et pour cela nous ne devons pas en avoir peur.

2.      L’amour de Dieu, sa tendresse et sa bonté nous précèdent

Pour ne pas avoir peur de la bonté et de la tendresse, et pour comprendre que nous sommes sur le bon chemin si nous les développons en nous, il est important que nous gardions en tête que la bonté et la tendresse sont d’abord des attributs de Dieu. Dans toute la Bible, Dieu se révèle comme un Dieu bon et tendre pour son peuple. Fidèle à ses alliances avec Noé, Abraham et Moïse, le Seigneur ne cesse de revenir, inlassablement, à la rencontre de l’homme lorsque celui-ci s’éloigne de lui. Un verset du psaume 144(145) réunit à la fois la bonté et la tendresse du Seigneur : « la bonté (bAj) du Seigneur est pour tous, sa tendresse (mxr), pour toutes ses œuvres » (Ps 144(145), 9, AELF).

bAj (tôb), c’est l’adjectif que le Seigneur utilise pour qualifier sa création, « Et Dieu vit que cela était bon » (Gn 1). C’est aussi le mot qui sert à distinguer le bien du le mal (Gn 3). Et c’est ainsi que les auteurs de l’Ancien Testament qualifient Dieu en retour. mxr (rêhêm ou raham) désigne d’abord les entrailles, le ventre de la mère qui porte son enfant. Par extension, il décrit par analogie l’amour des parents pour leurs enfants, qui les touche au fond du cœur. C’est le mot qui a donné en latin notre ‘‘miséricorde’’. Dieu s’est donc révélé dès le début comme un Dieu bon et tendre à la fois.

Le sommet de l’amour prévenant de Dieu, nous le savons, a été le don qu’Il a fait de son fils unique Jésus-Christ pour nous sauver du péché et de la mort. Saint Paul l’a magnifiquement exprimé dans son hymne aux Ephésiens :

3 Qu’il soit béni, le Dieu et Père de notre Seigneur, Jésus, le Christ ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ. 4 Il nous a choisis, dans le Christ, avant que le monde fût créé, pour être saints et sans péchés devant sa face grâce à son amour. 5 Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs  par Jésus, le Christ. Ainsi l’a voulu sa bonté, 6 à la louange de gloire de sa grâce, la grâce qu’il nous a faite dans le Fils bien-aimé. 7 En lui, par son sang, nous avons le rachat, le pardon des péchés. (Ep 1,3-7, AELF)

L’amour de Dieu nous précède donc et nous rejoint lorsque nous lui sommes infidèles. Cela doit être pour chacun de nous une source intarissable de joie et d’action de grâce qui s’exprime en louange ! Et je crois que nous pouvons en tirer également une cause de confiance et d’espérance très profondes, engendrées par la certitude que Dieu nous aime quelles que soient nos limites et quels que soient nos échecs à sa suite. Nous ne devons par ailleurs jamais oublier que cet amour de Dieu est destiné à tous les hommes et à toutes les femmes, nos frères et sœurs en Jésus Christ.

Je sais que beaucoup d’entre vous ont été éprouvés ces derniers mois par les débats politiques et sociaux en France, en particulier lors du vote de la loi sur le « mariage pour tous ». Les prises de parole publiques de responsables religieux et de nombreux chrétiens n’ont pas manqué, et nous pouvons en être fiers. Ce projet de loi laisse la société française profondément divisée, durablement meurtrie. Les personnes que nous rencontrons chaque jour, et en particulier celles que nous rencontrerons pendant notre semaine de mission à Franconville, ne sont pas indifférentes à ce débat, elles ont toutes un avis sur le sujet, et nous aurons à en discuter parfois. N’oublions jamais que « Dieu […] a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. » (Jn 3,16, TOB) C’est pourquoi le Pape François nous invite à faire grandir la bonté et la tendresse en nous d’abord, pour qu’elles rejaillissent ensuite autour de nous.

C’est le sens du conseil que saint Paul donnait à son disciple Tite, dans un contexte pourtant loin d’être favorable à l’Eglise naissante :

1 Rappelle à tous qu’ils doivent être soumis aux magistrats, aux autorités, qu’ils doivent obéir, être prêts à toute œuvre bonne, 2 n’injurier personne, éviter les querelles, se montrer bienveillants, faire preuve d’une continuelle douceur envers tous les hommes. 3 Car nous aussi, autrefois, nous étions insensés, rebelles, égarés, asservis à toutes sortes de désirs et de plaisirs, vivant dans la méchanceté et l’envie, odieux et nous haïssant les uns les autres. 4 Mais lorsque se sont manifestés la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes, 5 il nous a sauvés non en vertu d’œuvres que nous aurions accomplies nous-mêmes dans la justice, mais en vertu de sa miséricorde, par le bain de la nouvelle naissance et de la rénovation que produit l’Esprit Saint. 6 Cet Esprit, il l’a répandu sur nous avec abondance par Jésus Christ notre Sauveur, 7 afin que, justifiés par sa grâce, nous devenions, selon l’espérance, héritiers de la vie éternelle. (Tt 3,1-7, TOB)

     La force que Dieu donne aux croyants, par l’Esprit Saint, c’est l’espérance, que le Catéchisme de l’Eglise catholique définit ainsi :

L’espérance est la vertu théologale par laquelle nous désirons comme notre bonheur le Royaume des cieux et la Vie éternelle, en mettant notre confiance dans les promesses du Christ et en prenant appui, non sur nos forces, mais sur le secours de la grâce du Saint-Esprit. (n°1817)

C’est parce que nous croyons que le Christ a accompli la promesse de salut que Dieu avait faite à son peuple, et aidés par l’Esprit Saint reçu au baptême, sûrs que la tendresse et la bonté de Dieu nous précèdent, que nous pouvons avancer joyeux et confiants dans le monde contemporain, pour lui annoncer la Bonne nouvelle.

3.      Saint François d’Assise, modèle sur ce chemin

Un beau modèle sur ce chemin exigeant nous est proposé par le Saint-Père qui a choisi le nom de François pour se placer sous le patronage de Poverello d’Assise. Quel encouragement pour Adveniat qui a pris saint François et saint Dominique comme principaux exemples !

Saint François d’Assise nous donne un triple exemple d’amour de Dieu, d’amour du prochain, et d’humble espérance. Son amour de Dieu se manifeste dans sa capacité à le louer à chaque instant de sa vie, comme en témoigne son Cantique des Créatures : « Très haut, tout puissant et bon Seigneur, à toi louange, gloire, honneur, et toute bénédiction ; à toi seul ils conviennent, ô Très-Haut, et nul homme n’est digne de te nommer. » Saint François est le modèle-même de l’homme qui reconnaît que sans Dieu il ne pourrait rien faire, et qui en ressent un amour d’autant plus grand pour le Seigneur.

De cet amour de Dieu est né un grand amour de tous les hommes, dès la conversion de saint François. Cet amour l’a conduit à épouser Dame Pauvreté et à fonder l’ordre des Frères mineurs pour annoncer l’Evangile dans les villes de son temps.

Voici comment le Seigneur me donna, à moi frère François, la grâce de commencer à faire pénitence. Au temps où j’étais encore dans les péchés, la vue des lépreux m’était insupportable. Mais le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux ; je les soignai de tout mon cœur ; et au retour, ce qui m’avait semblé si amer s’était changé pour moi en douceur pour l’esprit et pour le corps[7]

J’aimerais insister particulièrement sur son espérance. Vous savez combien saint François a été malmené à la fin de sa vie, au sein même de son ordre. Jamais pourtant il n’a douté de la victoire de Dieu sur le mal, ni du soutien de l’Esprit Saint dans toutes ses épreuves. Il en tirait une humilité extraordinaire, comme le rapporte un de ses fioretti : « au-dessus de toutes les grâces et dons de l’Esprit-Saint que le Christ accorde à ses amis, il y a celui de se vaincre soi-même, et de supporter volontiers pour l’amour du Christ les peines, les injures, les opprobres et les incommodités[8] ».

Dans notre vie de tous les jours, et pour nous préparer à la semaine missionnaire à Franconville où je vous espère nombreux, suivons donc l’exemple de saint François d’Assise dans son amour de Dieu, son amour du prochain et son humble espérance ! Et continuons de porter Adveniat dans notre prière, avec le Notre Père quotidien et cette prière de saint François :

Que ton règne vienne,
règne en nous dès maintenant par la grâce,
introduis-nous un jour en ton royaume
où sans ombre enfin nous te verrons,
où deviendra parfait notre amour pour toi,
bienheureuse notre union avec toi,
éternelle notre jouissance de toi.

De tout cœur, par l’intercession de la Vierge Marie et de saint Joseph,
je vous bénis !

Sébastien Thomas +
prêtre


[1] François, Homélie de la Messe d’inauguration de son ministère d’évêque de Rome, 19 mars 2013.
[2] Vatican II, Const. past. Gaudium et spes sur l’Eglise dans le monde de ce temps (7 décembre 1965), n°1.
[3] ibid., n°2.
[4] François, op. cit.
[5] cf. G. Bernanos, Journal d’un curé de campagne, 1936.
[6] Benoît XVI, Message pour la 27e journée mondiale de la jeunesse, 15 mars 2012.
[7] François d’Assise, Testament.
[8] François d’Assise, Fioretti, chapitre 8.

Aucun commentaire: