lundi 17 août 2009

Récit d’un mois à Pérouse



L’année prochaine, à la demande de notre évêque, j’étudierai l’Ecriture Sainte à l’Institut biblique pontifical de Rome. Cela nécessite que j’apprenne l’italien ! A cette fin, je suis parti prendre des cours à l’Université pour les étrangers de Pérouse, la capitale de l’Ombrie. C’est le lundi 29 juin, lendemain de l’ordination de Jean-Baptiste ARMNIUS et Samuel BERRY à Pontoise, que je suis arrivé à Pérouse. Ne connaissant pas du tout l’italien, je suis un peu parti dans l’inconnu ! Par l’intermédiaire du diocèse de Pérouse, j’avais pris contact avec la paroisse de Sainte-Marie de l’Assomption de Monteluce, un quartier proche du centre. Le curé, Mgr Luciano TINARELLI, ainsi que les trois sœurs de Jésus Bon Pasteur qui l’assistent dans sa mission pastorale, m’ont tout de suite ouvert les portes de leur maison. Je veux ici raconter en quelques mots ce mois d’apprentissage de l’italien et de découverte de Pérouse et de sa région.


Le début des cours n’ayant lieu que le 6 juillet, j’avais devant moi presque une semaine pour m’installer dans ma nouvelle ville. La capitale de l’Ombrie a une histoire extrêmement riche et intéressante, née avec les Etrusques bien avant que l’Empire romain ne vienne y imposer son joug. Plus tard, ce sont les papes qui imposeront leur pouvoir à la ville, jusqu’à l’unité italienne des années 1860. Les deux murailles de la ville et tous les monuments religieux et profanes témoignent de cette histoire extraordinaire. Si un paroissien me disait que des Etrusques, les Pérugins gardaient un caractère posé, tranquille, mais très affirmé, notre curé Don Luciano nous disait aussi en riant que Pérouse était une ville anticléricale ! En effet, les souvenirs du pouvoir séculier des papes sont assez mauvais, encore aujourd’hui. Par exemple, il est remarquable qu’on ne trouve à Pérouse que du pain sans sel, après une révolte de la ville contre le Pape, suite à une augmentation excessive des taxes sur le sel. Un crucifix de bois, offert par les Pérugins à la cathédrale Saint-Laurent, rappelle aussi leur réaction à l’excommunication qui avait suivi cette révolte… Peuple fort, très chrétien mais très indépendant, le peuple pérugin a toujours bien distingué le pouvoir séculier et le pouvoir spirituel des papes, refusant l’un sans jamais s’éloigner de l’autre. Il serait faux de ramener l’histoire de France à l’histoire de Paris ; a fortiori, il serait illusoire de vouloir comprendre l’histoire de l’Italie en n’en connaissant que l’histoire romaine. Je l’ai compris à Pérouse, et par la suite à Florence.

Mais revenons aux cours. Avec vingt-sept heures de cours et d’exercices par semaine, j’étais bien occupé pendant la semaine ! D’autant que s’ajoutaient deux séances de conversation italienne, avec une paroissienne très sympathique : Maria-Pia. Il me restait les week-ends pour découvrir un peu la région. Mais ces semaines de cours ont été très riches de rencontres. Les quelque vingt étudiants qui fréquentaient mon cours venaient du monde entier : cinq Américains, trois Slovaques (dont deux séminaristes), trois prêtres Polonais, deux palestiniennes, une Colombienne, une Ecossaise, une Néo-Zélandaise, une Hollandaise, un Suédois, un Norvégien… et un Français ! Pendant quatre semaines, nous avons appris à nous connaître, à travailler ensemble, et avant tout à communiquer, dans une langue hybride qui est passée peu-à-peu de l’anglais à l’italien, au gré des progrès de chacun. Peu à peu, une amitié est née avec les deux séminaristes slovaques, Attila et Zóltan. C’est étonnant ce que l’Eglise, même en dehors de ses structures visibles, unit ses fils.


Le premier week-end, avant le début des cours, a été consacré à une première visite d’Assise, distante de seulement une vingtaine de kilomètres de Pérouse. De la fenêtre de ma chambre, au presbytère de Monteluce, j’avais même la chance de voir Assise, sur son flanc de montagne, éclatante de sa blancheur sous le soleil italien. On sait que saint François est souvent venu à Pérouse – c’est notamment en attaquant la ville qu’il fut fait prisonnier dans sa jeunesse. Quelle joie de parcourir ces routes qu’il a lui-même empruntées, de contempler les magnifiques panoramas de l’Ombrie, au lever du soleil comme au couchant, dans la chaleur de l’été, rafraîchi çà et là par l’eau d’une fontaine ! Quelle émotion aussi de revoir ces lieux sur lesquels nous étions venus en pèlerinage, il y a deux ans, avec des jeunes du diocèse. Pour moi la situation a changé : appelé au diaconat par notre évêque il y a un mois (je serai ordonné le 3 janvier prochain), je viens également marcher sur les pas de saint François qui avait refusé par humilité d’être ordonné prêtre mais qui avait accepté d’être ordonné diacre. Diacre François d’Assise, apprends-moi à devenir un serviteur de Dieu, de l’Eglise et de tous les hommes comme toi-même l’as été !


Ce séjour a également été un temps de maturation de ma conception du sacerdoce, auprès d’un curé d’exception : âgé de 83 ans, ordonné le 10 juillet 1949, Don Luciano est curé de la paroisse de Monteluce depuis 42 ans ! C’est une réalité pastorale assez rare aujourd’hui, conservée dans le diocèse de Pérouse. Voici un prêtre qui a baptisé jusqu’à trois générations de la même famille… c’est impressionnant ! La célébration de son jubilé sacerdotal a précisément eu lieu pendant mon séjour – le week-end du 10 au 12 juillet. Pour cette occasion, Don Luciano avait invité son vieil ami d’études Mgr Luigi BOMMARITO, archevêque émérite de Catania (Sicile). J’ai ainsi eu la chance de découvrir une fête paroissiale dans tout son faste et dans toute sa chaleur.
Depuis au moins vingt-cinq ans, Don Luciano accueille dans sa paroisse des prêtres et des séminaristes qui veulent étudier l’italien à l’Université pour les étrangers. Depuis un quart de siècle, la paroisse s’est habituée à voir des prêtres du monde entier concélébrer à l’autel. De cette communauté émane un sentiment d’ouverture impressionnant, où le mot catholique prend tout son sens étymologique !
Au presbytère, pendant ce mois de juillet, j’ai vécu avec deux prêtres japonais, Dominique et Paul, un prêtre indien, Matthieu, et un prêtre polonais, Darek. Les repas et quelques excursions communes ont fondé notre amitié. Nous nous reverrons à Rome, puisque Dominique, Paul et Matthieu iront comme moi étudier dans la Ville éternelle l’année prochaine.

Le week-end suivant, le 18 juillet, j’ai eu la chance de me rendre à Florence. Le voyage en train est un plaisir : les paysages de l’Ombrie et de la Toscane défilent, comme dans un musée de nature. La ville de Florence nous a enchantés : la cathédrale, les rues très larges, entre les palais anciens des puissantes familles florentines, le Ponte Vecchio et ses joailleries, et pour couronner le tout, la visite de la Galerie des Uffizi, musée extraordinaire – l’un des plus anciens du monde. La ville de Florence fut pendant longtemps l’une des plus puissantes du monde, puisque les familles les plus riches y demeuraient, au premier rang desquelles la famille Médicis. Elle fut aussi la première capitale de l’Italie unifiée, avant que Rome ne fût prise par les troupes de Garibaldi et annexée au nouveau royaume.

Je ne peux tout raconter : le prestigieux festival de jazz Umbria Jazz, le pèlerinage à Cascia (sur les pas sainte Rita) et à Nursie (ville natale de saint Benoît et sainte Scolastique), les nombreuses rencontres avec les habitants de la paroisse, les visites de maisons insolites de la ville… que de souvenirs, que d’expériences !


Les cours finissant le 31 juillet, j’ai profité de mon dernier jour en Italie, le 1er août, pour faire un très beau pèlerinage à pieds avec Dominique (prêtre japonais) et Zoltán (séminariste slovaque) de Pérouse à Assise. La date était providentielle, puisque nous avons ainsi pu participer au Grand Pardon d’Assise – solennité annuelle célébrée chaque année depuis plus de 700 ans, depuis que saint François a obtenu du Pape une indulgence plénière pour tous les pèlerins d’Assise qui ne pouvaient pas se payer le pèlerinage de Jérusalem, de Compostelle ou de Rome. A la Portioncule, nous avons participé à une Messe solennelle présidée par le Ministre général des Frères mineurs.
Cette marche de quatre heures avec deux amis m’a rempli de joie : nous étions là, simplement heureux d’être ensemble et de marcher vers Assise, unis par l’amour du Seigneur, à la suite de saint François. Rejoints par Paul pour la journée, nous avons visité une nouvelle fois les lieux majeurs de la vie de saint François.

A la fin de ce mois très riche, je ne peux que rendre grâce à Dieu pour ses dons.

Merci Seigneur, pour Don Luciano et pour les sœurs qui m’ont accueilli avec beaucoup d’amour fraternel et qui m’ont appris mes premiers mots d’italien.
Merci pour Dominique, Paul, Matthieu, Darek, Attila et Zóltan, avec qui j’ai vécu pendant un mois et qui sont devenus des amis.
Merci Seigneur, pour l’Eglise où tu nous donnes de vivre en frères, enfants du même Père !


Sébastien THOMAS
3 août 2009